C’est beau la démocratie…
Le Monde :
Emmanuel Macron a présenté mardi son projet de réforme du système pénal français. Le chef de l’Etat a notamment insisté dans son discours sur la nécessité, selon lui, que les détenus puissent voter. Plusieurs sites d’extrême droite ont saisi l’occasion pour lui imputer le projet de vouloir accorder des droits civiques « aux djihadistes » actuellement emprisonnés en France. Mais ces articles ont complètement dévoyé ses déclarations.
CE QUE DIT LA RUMEUR
Plusieurs sites Internet, dont le site Alertesinfos.fr, écrivent qu’Emmanuel Macron voudrait « donner le droit de vote aux prisonniers djihadistes “dès 2019” ». Et d’imputer au chef de l’Etat le projet d’« offrir les mêmes droits civiques que les citoyens français aux djihadistes actuellement détenus en France ». La rumeur a été largement reprise sur les réseaux sociaux par des comptes d’extrême droite.
POURQUOI C’EST FAUX
La vidéo du discours d’Emmanuel Macron à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire a été publiée sur le site de l’Elysée. La question du vote des détenus y est abordée à partir de quarante-quatre minutes et vingt secondes. Le président a d’abord déploré qu’il soit souvent difficile de voter en prison :
Le droit de vote doit pouvoir être exercé plus simplement. Je vous le dis très sincèrement, on a essayé de m’expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter. Je n’ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où l’on ne sache pas organiser ni le vote par correspondance ni l’organisation d’un bureau.
Pour bien comprendre la situation, il faut savoir qu’il existe trois cas de figure pour les détenus face au vote :
- Ceux qui ont été condamnés à la déchéance des droits civiques et perdent notamment leur droit de vote pendant le délai fixé par le jugement, un cas de figure qui concernait autour de deux mille détenus en 2012 ;
- Ceux qui n’ont pas le droit de vote car ils sont mineurs et/ou étrangers (environ 14 000 détenus en 2012) ;
- Ceux qui conservent en théorie le droit de vote (environ 61 000 détenus en 2012, soit autour de quatre détenus sur cinq).
Sauf que voter est souvent un parcours du combattant pour ceux qui auraient en théorie le droit de faire. Pour exercer leur devoir de citoyen, les détenus n’ont que deux choix actuellement : voter par procuration ou obtenir une permission de sortie pour aller voter. Ces dernières peuvent être accordées, à l’appréciation du juge d’application des peines, si le détenu a été condamné à une peine inférieure à cinq ans de réclusion ou s’il a exécuté la moitié de sa peine.
Toutes ces restrictions font qu’en 2012, moins de 4 % des détenus ont voté à l’élection présidentielle. Un chiffre insuffisant, juge Emmanuel Macron, qui fixe donc pour objectif d’organiser le vote des détenus dans des conditions satisfaisantes :
La réalité c’est que nous allons le faire et que pour les prochaines élections européennes je veux que tous les détenus en France puissent exercer le droit de vote. Parce qu’encore une fois on prive un individu de sa liberté, pas de ses droits civiques. Sauf si la peine est explicitement, pour certains de ces droits civiques, prononcée.
La dernière phrase est sans ambiguïté : pas question de remettre en cause la déchéance des droits civiques pour ceux qui en sont privés actuellement ou à l’avenir. Pour que les djihadistes en prison puissent voter, il faut d’abord qu’ils soient français — le vote est donc un droit constitutionnel qu’ils ont et Emmanuel Macron n’accorderait rien en plus.
Mais dans le cas où ce droit a été suspendu par un juge lors de leur condamnation, les djihadistes français ne pourront toujours pas voter le jour de l’élection. La réforme voulue par Emmanuel Macron ne changerait donc pas leurs droits des personnes mais simplement la possibilité de voter pour celles qui y sont autorisées.
Cet article des « décodeurs » du Monde est supposé démonter une « désinformation » de la part de « sites d’extrême-droite ». Il me fait tellement « peur » que je le cite quasi-intégralement.
Parce que le fond des choses, c’est bien que Macron entend fortement accroître le vote des taulards et que c’est bien cela qui pose problème. Le cas des djihadistes n’est qu’un exemple particulièrement frappant qui révulse la quasi-totalité des Français.
Et quoi qu’en dise Le Monde, à défaut de djihadistes passés à l’action, l’initiative de Macron faciliterait le vote pour des taulards démesurément bougnègres parmi lesquels beaucoup de sympathisants djihadistes.
Il est aussi faux de prétendre que parce que les criminels emprisonnés ont en théorie le droit de voter, cette annonce ne traduirait pas un changement réel. C’est la situation pratique – seulement de 4% parmi les taulards pour le moment – qui importe.
L’initiative de Macron revient à pousser l’idée démocratique jusqu’à son absurdité intrinsèque ; l’idée démocratique selon laquelle soumettre une question au vote de l’ensemble de la population serait la meilleure méthode pour obtenir des choix politiques bénéfiques à ladite population, est totalement erronée.
Ce n’est pas la pire méthode – la tyrannie fonctionnant sur l’oppression et la terreur est certainement pire.
Mais dès que l’on examine froidement son fonctionnement, on enchaîne les paradoxes et les absurdités.
Une objection courante des amoureux de l’idée démocratique serait de faire remarquer que nous avons un régime parlementariste plus qu’exactement démocratique. Mais gouvernement pourri, après gouvernement pourri, il se trouve toujours les électeurs pour l’avoir choisi majoritairement. J’affirme que si la population était vraiment capable de choisir ce qui est dans ses intérêts, qu’elle ne pouvait être complètement retournée par une puissante propagande, non seulement elle choisirait bien mieux parmi les choix existants, mais de plus elle générerait organiquement de meilleurs choix que ceux dont nous disposons.
H.L. Mencken écrivait en 1925 :
La liberté et la démocratie sont des ennemies éternelles, et quiconque a jamais réfléchi sobrement à la question le sait. Un État démocratique peut professer en vénérer le nom, et même voter des lois la rendant officiellement sacrée, mais il ne peut en supporter la réalité. Afin de conserver la moindre cohérence dans le processus gouvernemental, pour empêcher la pire anarchie en pensée et action, le gouvernement doit placer des limites sur le libre jeu de l’opinion. Pour partie, il peut atteindre ce but par la simple propagande, par la pure force de son autorité – c’est-à-dire, en rendant certaines doctrines officiellement taboues. Mais pour partie, il doit recourir à la force, c’est-à-dire à la loi. L’un des principaux buts des lois dans une société démocratique est de placer des fardeaux sur l’intelligence et la réduire à l’impotence. En apparence, leur but est de punir des actes anti-sociaux ; en vérité leur but est de punir des opinions hérétiques.
Avec presque un siècle de recul supplémentaire sur l’expérience démocratique, on peut dire : que de vérité dans ces mots !
L’idée démocratique, c’est dire que le dernier des imbéciles, tout comme le pire des escrocs, devrait avoir le même pouvoir de décision politique que la personne la plus sage et honnête.
Mais dans la réalité, l’addition de la stupidité ne donne pas pour résultat la sagesse.
Qui pense que les criminels ne devraient pas pouvoir voter admet implicitement qu’il existe des catégories de population dont on peut prédire que leur vote sera globalement nuisible à l’intérêt général.
C’est déjà une falsification de l’idée démocratique.